XIII

Treize ans. Cela va bientôt faire treize ans que je partage ma vie sentimentale avec Snooze. Des premières années en faculté à aujourd’hui. C’est dingue. Treize années d’exclusivité sentimentale et sexuelle totale. En écoutant certaines connaissances parler de leur couple ou plutôt de leur absence de couple, j’ai l’impression d’être un véritable ovni. Homo ou hétéro, nous battons tout notre entourage. C’est peut-être vrai. J’ai la chance de vivre avec une personne que j’aime sincèrement et qui m’aime en retour. Deux gamins qui se chamaillent pour un rien. On a des foutus caractères, je suis du matin, il est du soir, mais c’est comme ça, j’ai l’impression que nous sommes faits l’un pour l’autre. Goûts ou dégoûts communs, nous vivons notre quotidien comme au premier jour. Nous nous sommes bien entendu embourgeoisés. C’est cool l’embourgeoisement. Les habitudes changent, les amis aussi.

Treize années de stabilité. Sans sous-entendu. Sans malentendu. Nous sommes jeunes. La vie est belle.

Nous vivons heureux. J’ai cependant parfois envie d’exploser. Il y a six ans, j’ai appris à ma mère et à nos amis que nous étions ensemble. Les amis étaient sur le cul et ne s’étaient rendu compte de rien. Les « Bah arrête. Déconne pas. Ce n’est pas possible. Depuis quand? » se sont succédés.
Ce fut un grand choc mais nous étions proches. Le choc n’était pas du à l’homosexualité mais au fait que nous deux étions ensemble. Ils ont compris. Ils ont été compréhensifs. Nous leur avions caché la vérité pendant sept années. Nous nous sommes encore plus rapprochés. Ils ont tous été formidables.
Côté famille, ce fut un peu plus douloureux. Pas au début. C’était trop facile. Quelques jours après notre conversation, ma mère m’a annoncé qu’elle ne souhaitait plus recevoir mon amant à la maison. Elle ne serait jamais grand-mère. Elle était bouleversée. Depuis, alors que nous vivons ensemble et partageons le même appartement, elle se voile la vérité. Snooze est un ami, pas mon ami. Elle vit dans le mensonge et rien ne peut l’en faire sortir. En même temps, ce n’est pas facile de sortir d’un foyer monoparental sans oncle, tante, frère ou sœur. Pas de bol sur ce coup.

Nous sommes cependant toujours schizophrènes. Une vie avec la famille et les amis, une autre professionnelle. Nous n’avons pas les mêmes droits que les autres couples. Nous avons le devoir de fermer notre gueule. Nous n’avons pas le droit d’adopter un enfant sans mentir sur notre situation. Nous vivons dans un apartheid social. Cette situation paraîtra absurde dans quelques années. Je suis né dix années trop tôt.

Mais merde, j’ai quand même vachement de chance d’avoir trouvé le bonheur avec Snooze. Nous avons parfois des emmerdes mais nous sommes heureux. Heureux de vivre ensemble, heureux d’avoir des amis si fidèles, heureux d’habiter dans notre chouette appartement et heureux d’avoir un si beau métier. Je vais adopter un chat. Je crois que j’ai encore ce droit (enfin pas certain car Snooze ne va pas apprécier le flingage de l’appartement par une boule de poils à griffes).

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