Cette histoire m’est brusquement revenue en tête lors d’un truithon malicieusement organisé par Bree van de Pouf et Rex van de Ben, heureux et attentionnés parents d’un charmant et adorable petit rongeur. Les âmes sensibles sont priées de s’abstenir.
Lorsque j’étais encore jeune et beau doctorant, il m’arrivait de devoir me servir de petits animaux pour mener à bien mes études. J’avais la conscience parfaitement tranquille car c’était pour la science et le bien de l’humanité. C’était très simple. Il suffisait d’ouvrir un catalogue et de choisir l’espèce désirée. Si nous travaillions le plus souvent avec des rats ou des lapins, l’espèce animale la plus utilisée était la souris. Nous étudions alors la réponse immunitaire chez des sujets atteints d’une maladie rare. Une telle pathologie nous interdisait d’inclure des patients. Nous avions donc recours à la souris. Certaines sont génétiquement modifiées. C’est le cas de la souris SCID (Severe Combined Immuno Deficiency). Le petit mammifère est sans défense immunitaires et il est donc possible de lui injecter des cellules humaines sans craindre le rejet du greffon. La souris a une durée de vie très limitée et doit demeurer en atmosphère stérile sous peine de mourir dans d’atroces souffrances.
Nous devions donc prélever des cellules sanguines de malades et les injecter dans l’abdomen de la souris. Cette méthode est communément appelée humanisation. La souris n’ayant pas été élevée à l’Actimel, les cellules humaines ne sont pas reconnues comme étrangères et ne sont donc pas détruites. L’étape suivante était cependant bien plus délicate. Nous devions prélever quelques microlitres de sang de l’animal en prenant garde à ne pas le contaminer par de vilains germes pathogènes. Nous enfilions donc des gants stériles et enfoncions délicatement dans le coin de l’œil de la souris un petit capillaire en verre préalablement trempé dans de l’héparine, substance anticoagulante permettant de fluidifier le sang. La méthode est délicate et fort peu agréable mais il est difficilement envisageable de poser un mini cathéter sur le bras de la souris et d’attendre que le sang coule.
Une fois les prélèvements sanguins réalisés, nous devions nous débarrasser des souris. La recommandation officielle était de plonger la bestiole pendant quelques minutes dans les vapeurs dégagées par de la glace carbonique. La carboglace dégage en fondant du gaz carbonique qui endort et asphyxie le rongeur. Cependant, il est impossible de la conserver et peu de laboratoires possèdent une réserve de carboglace.
Le plan B est plus radical : il suffit de placer son pouce sur les cervicales de la souris et de tirer sa queue d’un coup sec. L’effet est supposé être immédiat. Cependant, nous n’étions vraiment pas doués pour supprimer nos pauvres petites copines. Nous ne réussissions qu’à partiellement briser leurs colonnes vertébrales. Elles étaient toujours bien vivantes et poussaient de petits cris aigus. « Squiiik squiiik squiiik squiiiiiiiiiiiik » faisaient-elles en nous regardant. Après avoir charcuté une demi-douzaine de souris sans jamais avoir réussi à les tuer d’un coup, nous étions véritablement paniqués. L’animalerie était vide et personne ne pouvait nous aider. Nous ne pouvions pas les laisser mourir de leur belle mort ni les libérer dans la nature. Nous ne pouvions pas non plus contacter la personne responsable de l’animalerie. Il fallait donc trouver un moyen de faire notre sale boulot en évitant de faire souffrir ces pauvres petites choupinettes.
Peu de choses étaient à notre disposition. Un placard était rempli de grosses bouteilles. Du formol. C’était parfait. Nous allions pouvoir les endormir avant de les dévertébrer et donc éviter de les faire souffrir. Nous avons rapidement rempli un gros pot en plastique doté d’un couvercle de quelques centilitres de formol, recouvert le tout de papier absorbant et déposé les souris sur le Sopalin avant de refermer le couvercle. Nous étions enfin soulagés. Les souris allaient être anesthésiées avant de rejoindre le paradis des rongeurs. La précipitation nous a fait oublier que formol et plastique ne faisaient pas bon ménage. Le formol a fait partiellement fondre de plastique qui a fusionné sur les poils et les yeux des souris. La vision était apocalyptique. Trois dizaines d’yeux globuleux collées aux parois du bocal nous observaient d’un air culpabilisateur. Un véritable cauchemar pour les deux âmes sensibles que nous étions. Nous avons véritablement mis des mois à nous en remettre.
J’aurais également pu raconter comment nous avons involontairement provoqué la diarrhée à une cinquantaine de rats et avons été obligé de les torcher un à un en plein mois d’août, l’histoire du congélateur rempli de souris, celle des chèvres du service de cardiologie ou enfin l’histoire du gros lapin que nous n’avons pu prélever. Oui oui, j’aurais pu. Enfin, j’imagine malicieusement Fcrank à notre place, coincé dans un local sombre et humide rempli de dizaines de souris ou de rats, devant nettoyer les cages et donc transférer un à un les rats en les prenant par la queue.
Sacré bizutage en perspective. :thumbup_tb: