J’ai quitté le domicile familial à l’âge de vingt sept ans. Je n’ai pas pu m’émanciper plus tôt pour des raisons purement financières. Ayant entrepris de suivre un cursus long sans possibilité de travailler parallèlement, mes seuls revenus étaient ceux gagnés lors des vacances universitaires estivales. Je travaillais pendant deux mois de nuit à l’hôpital de la pitié salpêtrière. Un salaire servait à financer mes vacances, l’autre à tenir pendant le reste de l’année. Les étrennes, fêtes et anniversaire étaient considérées comme bonus. De son côté, Snooze pouvait aisément faire des passes en officine le week-end. Il avait la chance d’avoir un travail régulier lui permettant de se former et n’empiétant pas trop sur ses loisirs. J’ai donc attendu le début de mon doctorat pour penser à m’installer. J’ai économisé pendant toute une année et suis tombé par hasard sur mon petit nid d’amour. Le quartier était sympathique et le loyer très abordable.
J’allais enfin devenir un joyeux locataire et faire la fiesta dans mon chez-moi à moi et rien qu’à moi.
A moi. A moi. A moi. :jittery_tb:
Etant issu d’un foyer monoparental sans frère ni sœur, la pilule a donc été très difficile à digérer pour ma mère. Elle, qui n’avait cessé de me répéter pendant toute mon enfance qu’elle ne serait jamais une mère abusive comme l’avait été sa vilaine belle mère, s’est transformée en affreuse culpabilisatrice. Elle ne cessait de répéter que je l’abandonnais. D’abord en plaisantant. Puis de plus en plus sérieusement. Ce fut très certainement une des périodes les plus difficiles à vivre car je suis rentré dans son jeu et j’ai commencé à croire que je n’étais qu’un salaud de fils sans cœur qui abandonnait lâchement sa pauvre génitrice. Mon dieu. Ma mère était devenue une perverse. Elle ne cessait de me regarder avec de gros yeux humides. Le chat de Shrek, c’était elle, excepté le fait qu’elle ne se léchait pas en permanence la rondelle et ne crachait pas de boules de poils (peut-être par manque de souplesse). Si elle avait pu cracher des boules de poils pour me retenir, je suis prêt à parier qu’elle l’aurait fait.
D’ailleurs, en y pensant bien. :blink_tb:
Je me souviens parfaitement du jour ou j’ai déménagé. Pour plusieurs raisons. Ce couillon de Snooze à accidentellement bousillé toute une aile de la voiture que j’avais loué pour l’occasion. Ma première journée d’homme émancipé commençait donc très mal. Je me souviens surtout de ce jour car ma tendre maman avait réuni toutes les affaires qui m’appartenaient et les avait emballées dans des cartons. En gros, elle tentait de me faire comprendre que ce n’était pas moi qui la quittait mais elle qui me mettait dehors. J’ai tenté en vain de lui expliquer que je partais m’installer non loin de son appartement et que je comptais bien revenir de temps en temps mais elle ne m’écoutait pas. J’avais l’impression qu’elle tentait de se débarrasser de toute trace pouvant lui rappeler mon existence. Elle a pris possession de ma chambre en quelques jours. L’appartement s’est vite transformé, comme si je n’y avais jamais mis les pieds. Elle est rentrée dans une sorte de période de deuil. Et j’allais accessoirement hériter du canapé si je souhaitais dormir à la maison. Pan dans les dents.
J’avais heureusement eu la délicatesse de ne pas embarquer mon chat Phobos. Les mauvaises langues (de chat, humour) pourraient penser que je n’avais pas envie de m’encombrer d’une bestiole capable de ravager en quelques heures un appartement et de changer tous les jours sa caisse à merde. Nan. J’avais facilement compris que ma mère naviguait en plein vide affectif et que lui retirer la garde du chat allait lui être fatal. Phobos est donc devenu son confident. Le transfert affectif fut rapide. Ma mère a commencé à gaver le chat qui n’attendait que cela. Elle lui a supprimé toute nourriture industrielle et a commencé à lui mitonner de bons petits plats. Son poisson était cuit dans du lait et il avait des crevettes à tous les repas. La conséquence fut double. Il a rapidement pué de la gueule. Il est surtout passé de la catégorie coq à la catégorie poids lourd et a rapidement atteint les onze kilos. Mon chat était devenu un sumo. Son ventre touchait le sol et il était doté d’un triple menton. J’ai donc été obligé de réagir rapidement avant qu’il ne se transforme définitivement en Knacki. Je l’ai confié six mois à ma grand-mère. Il a ainsi pu exercer une activité physique en gambadant joyeusement dans le jardin. L’air pur Auvergnat l’avait transformé en chat sportif et vigoureux. C’était un miracle.
Mon petit Phobos a malheureusement commencé à avoir de l’arthrose. Il bouffe toujours autant mais se déplace de plus en plus difficilement. La caisse que nous utilisions pour le transporter est devenue trop petite et nous avons été obligé d’investir dans une cage jumbo a roulette sous peine de se claquer une vertèbre en le portant. Il ressemble maintenant à une grosse saucisse de Morteau qui ne se déplace que pour se rendre à sa gamelle ou pour faire ses besoins. Il est actuellement en pension à la maison pour quelques jours.
Snooze a failli s’étouffer en voyant la bête: « Aaaarg mon dieu, c’est un monstre!! Ou est la tête? »
C’est maintenant une question de vie ou de mort.
Croquettes de régime et pâtée allégée obligatoire. Sinon, ça risque vite de sentir le sapin.