Je prends alternativement avion ou train afin de me rendre à Londres. Le train reste le moyen le moins stressant de voyager. J’éteints mon téléphone. Je m’installe doucement dans mon fauteuil, allume mon ordinateur et lance un film. On m’apporte une collation, je somnole, et arrive en un claquement de doigts à saint-Pancras. Même rituel au retour. L’équipage de bord est toujours charmant et attentionné. Une complicité s’est installée avec le temps. Toujours les mêmes visages. Souvent les mêmes voisins. Les conditions de voyages sont optimales. C’est mon moment à moi, hors du temps. Je déconnecte.
Des retards sont courants. Ils sont dus à une multitude d’évènements: Mauvais temps, pannes dans le tunnel, câbles électriques dérobés. Il peut arriver que nous heurtions un animal, et attendions des heures avant de repartir. Il peut également arriver que d’autres raisons, plus malheureuses, paralysent le réseau. Ainsi, certaines personnes désespérées profitent-elles du passage incessant des rames pour mettre fin à leurs jours. C’est ce qui est arrivé la semaine passée. Le train a ralenti, puis s’est arrêté peu avant Calais. Première annonce, puis seconde. Les agents sont passés dans les rangées, ont répondu aux questions. Oui, une personne avait probablement sauté sur les rails. Des passagers s’inquiétaient du retard possible. Une personne était sans doute morte. Des passagers avaient faim et le faisaient savoir. La police est arrivée. D’autres avaient soif. Il fallait dégager la voie. Des passagers demandaient à sortir du train. C’était impossible pour des raisons évidentes de sécurité. Des accros au tabac menaçaient d’allumer une cigarette. Les portes se sont finalement ouvertes. Il pleuvait abondamment. Qu’importe. On se moquait de la détresse. Il fallait pouvoir manger, boire et fumer.
Deux rock-stars de bas étages se plaignaient du confort des sièges. Ils portaient des lunettes de soleil, des vêtements trop petits et d’affreuses mules Gucci. La nourriture n’était pas assez bonne. Il n’y avait pas assez de revues. Il n’y avait pas assez de coussins. Rien n’était à leur hauteur. Sans aucune éducation, sinon celle de l’irrespect, les deux individus ont finalement décidé de s’installer à l’avant de la cabine en s’allongeant sur la moquette. Ils parlaient fort. Très fort. Un passager anglais en costume trois pièces s’est rendu au niveau de la voiture stockant les chariots repas. Il a demandé du vin. Deux bouteilles lui ont été servies, et ont rapidement été bues. Le passager a attendu qu’une nouvelle personne soit en charge de la voiture pour lui demander à nouveau de l’alcool.
L’équipage est passé de voiture en voiture, puis a tenté de gérer les passagers sortis des wagons, laissant sans surveillance la voiture repas. Une des rock stars s’y est rendue, a ouvert toutes les portes et placards, et a fait sont marché. L’ivrogne en a profité pour voler trois ou quatre nouvelles bouteilles, et les siffler illico. Le personnel est revenu. Il en a profité pour demander une nouvelle bouteille. Il semblait au départ honteux de quémander, puis l’alcool l’a désinhibé. Il souriait et riait bêtement. Comme l’addiction peut rendre affreux et pitoyable.
Le meilleur et le pire des gens se révèlent généralement dans ce genre de situation. Ma voisine se demandait comment elle allait être prise en charge, car elle avait raté ses correspondances pour la province. Son voisin lui a gentiment proposé de l’héberger sur Paris, ou l’aider à trouver un hôtel. Deux jeunes mariés étaient assis derrière moi. La femme portait encore un voile qui masquait son regard. Le marié avait une rose à la boutonnière. Ils se rendaient à Paris en voyage de noces. Un représentant de la compagnie ferroviaire a tout d’abord offert une bouteille de Champagne au couple, en présentant les excuses de la société pour le retard, puis une seconde bouteille, avec de nombreuses coupes. L’effet n’a pas tardé. La mariée est passée dans les rangs et a proposé à ses proches voisins de partager son bonheur en offrant quelques bulles. Ma voisine a sorti des chocolats de sa valise, et un gouter inattendu s’est spontanément organisé. Tout était oublié.
Le train est finalement reparti, pour de nouvelles aventures. Nous nous sommes quittés, comme si nous quittions des amis. Etrange et agréable à la fois. Rare.
La SNCF vous remercie pour ce témoignage. 😀