La prochaine fois que tu auras un coup de mou, il est hors de question que nous achetions un Jet privé. Voici ce que Snooze m’a dit en sortant de chez notre nouveau gentil banquier, juste après avoir signé un crédit de vingt longues années. Aucun risque, lui ai-je répondu. Nous sommes devenus de pauvres propriétaires pendant les deux prochaines décennies.
Plus sérieusement et avec un peu de recul, cette baisse de régime m’a permis de faire le point et surtout permis de faire des pas de géant en prenant beaucoup d’initiatives et en donnant à ma vie de nouveaux objectifs. Crise de trentenaire, premier bilan, je n’en sais rien. Ce que je sais maintenant, c’est que j’ai mille projets en tête qu’il me tarde de réaliser.
Mais j’ai toujours peur de ne pas faire les bons choix et surtout de mal décider pour deux. Lorsque Snooze m’a rejoint dans mon petit appartement du boulevard de Picpus, il a quitté le confort parental pour se retrouver à vivre avec moi. J’avais déjà mes habitudes et il a été obligé de s’y plier. La promiscuité due à la petitesse de notre appartement nous a obligé à être extrêmement organisés et à devenir des obsessionnels du rangement. Mais Snooze n’a jamais habité seul. Lorsqu’il vivait encore chez ses parents, il n’avait pas à s’occuper des tâches ménagères et autres pensum du quotidien. De mon côté, j’ai vite appris à être autonome car nous n’étions que deux à vivre à la maison.
Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Belleville Montmartre en ce temps-là, accrochait ses lilas jusque sous nos fenêtres. Et si l’humble garni qui nous servait de nid ne payait pas de mine, c’est là qu’on s’est connu Moi qui criait famine et toi qui posais nue. Lorsque j’étais petit, maman travaillait de garde à l’hôpital Tenon puis à la Pitié-Salpêtrière. Elle partait tous les jours vers quatorze heures et ne rentrait jamais avant minuit. Différentes nounous se sont donc succédées à la maison jusqu’à mes 8 ans. Il m’a fallu ensuite apprendre à être autonome et surtout très organisé. Le soir, je rentrais seul de l’école, faisais mes devoirs et passais la plupart de mes soirées à lire ou à jouer aux Legos. Je suis persuadé que mon côté ours casanier vient de cette période.
Un peu plus tard, je me suis mis à participer plus activement au ménage à deux que nous formions à la maison. Je faisais les courses, me préparais à manger le soir ou repassais mes affaires. Je suis vite devenu indépendant. Bree van de Kamp avait pris possession de mon corps alors que je me transformais en adolescent obèse et boutonneux. Pour une mère qui a connu une partie de la guerre, être bien portant était synonyme de bonne santé. Pour un môme de douze ans, cela signifiait avant tout être le gros de la classe et être affublé du doux surnom de Groquik (parce que je portais également d’affreux pulls jaune poussin). En résumé, j’étais devenu le roi du balais brosse et du fer à repasser mais je n’avais pas d’amis et un indice de masse corporelle supérieur à 28 :annoyed_tb: . Mais cette dextérité ménagère et l’organisation acquise au fil des années sont finalement devenues de précieux atouts lorsque j’ai enfin quitté le nid « familial » et accessoirement retrouvé la ligne.
Snooze était donc passé d’une prise en charge maternelle à une prise en charge maritale et un équilibre s’est petit à petit créé. Je me suis donc mis naturellement à gérer notre ménage tout en ayant, il faut bien l’avouer, une sainte horreur du repassage et de la paperasse, avec parfois une gestion hasardeuse du courrier reçu et la découverte de rats morts oubliés, un peu comme Victor et Moi dans l’un de ses derniers billets. Mais cela m’arrangeait car je me suis vite aperçu que je détestais que quelqu’un s’occupe de mes affaires et surtout que j’adorais contrôler les choses. Et puis surtout, Snooze s’est révélé être fragile. Il peut paraitre râleur, bourru, froid ou sûr de lui. Ce n’est qu’une apparence. Il est avant tout une petite chose qui a besoin d’être protégée et rassurée. Il vit parfois dans une bulle au pays des Bisounours. Je la perce très rarement : en cas d’énervement avant implosion ou en cas d’extrême nécessité.
C’est donc tout naturellement que j’ai pris en début d’année l’initiative de tirer un trait sur notre vie actuelle. J’ai forcé la main à Snooze et ne suis plus persuadé d’avoir fait le bon choix. Economiquement, c’est discutable. Affectivement, c’est certain car nous allons nous éloigner d’amis plus que chers. Il est triste et je peux le sentir tous les jours.
En ce moment, tout se bouscule dans ma tête. Je suis resté à la maison avant-hier. Lorsque je suis parti courir, je regardais tous les immeubles qui m’entouraient comme si c’était la dernière fois que je passais devant. En rentrant, j’ai sorti une chaise longue et me suis endormi au milieu de mon petit jardin. Il n’y avait aucun bruit. Je me suis réveillé triste, triste de sacrifier cet endroit que j’avais créé. Cela peut paraitre con et bien sentimental car ce ne sont sont finalement que quelques plantes.
Je commence à tirer un trait sur mon passé et je dois faire le deuil d’une petite dizaine d’années correspondant à mon émancipation tardive, à la fin de ma trop longue vie estudiantine et au commencement de ma vie professionnelle. J’ai brusquement l’impression de basculer de l’état de jeune homme à celui d’homme jeune. Ma vie s’accélère. Cette claque dans la gueule est soudaine, inattendue et douloureuse. Sans doute faut-il passer par cette étape pour grandir un peu.
Savoir si grandir est nécessaire est certainement une autre question. :happy_tb:
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