J’ai rencontré Eric lorsque Snooze a redoublé sa seconde année de Pharmacie. Nous ne sommes pas immédiatement liés d’amitié car il appartenait à un autre groupe de joyeux étudiants. L’atmosphère est étrange lorsqu’on se retrouve en deuxième année de pharmacie ou de médecine. On est un peu le roi du monde car la plupart des incertitudes liées à l’avenir professionnel s’estompent. Au pire, on se destine à vendre des couches en officine et à gagner un paquet de blé, au mieux on rentre au service marketing d’une grande firme et on gagne un plus gros paquet de blé. Les études sont longues et dures, mais on termine toujours un diplôme en poche. On passe également de nombreuses heures à traîner dans les locaux des associations sponsorisées par la faculté ou à la cafétéria. Un doux mélange entre Hélène et les garçons, Oui Oui et le monde des Bisounous.
Eric, Mous ou Moustic pour les intimes était à part pour plusieurs raisons. Tout comme ces immondes rubans attachés au plafond des vieilles baraques campagnardes, Mous attirait toutes les filles autour de lui. Même s’il n’a jamais été mon genre, je lui ai toujours trouvé beaucoup de charme: grand, élancé, de magnifiques yeux bleus, beaucoup d’humour, une pointe de timidité et de mystère, la proie idéale. Contrairement à moi qui vivait encore chez ma mère, il était très indépendant pour son âge. Il faut dire qu’il était issu d’une famille assez bourgeoise qui lui permettait de mener un train de vie bien éloigné du mien. Il n’avait même pas vingt ans et était déjà propriétaire de son appartement à Paris. L’indépendance n’était pas que financière. Il avait passé la plupart de ses études chez des jésuites, son père l’ayant placé en pension juste après le décès de sa mère. On avait l’impression qu’il s’éloignait un peu de ce père qui avait refait sa vie et qui venait d’avoir un bébé prénommé Alexandre. Il ne parlais jamais de sa mère et très peu de son papa.
Son oncle et sa soeur étaient cependant très présents, pour différentes raisons. Le frère de sa mère était (et est toujours) pharmacien et vivait ouvertement son homosexualité. Il partageait sa vie avec un autre pharmacien et avaient monté l’une des pharmacies les plus grandes et prospères de Paris. Mous évoluait donc dans une atmosphère vraiment très gay friendly, à un moment ou je vivais dans un placard sombre et très étroit avec Snooze. Eric représente beaucoup pour moi car il est la première personne à qui j’ai révélé mon homosexualité et ma relation avec Snooze. J’ai longtemps été persuadé que tout comme moi il aimait la bite. Nous ne l’avions jamais vu avec une copine. Sa soeur Muriel était également très présente. Elle était maniaco-dépressive et se faisait souvent interner. La disparition de sa maman avait certainement été un immense traumatisme. Contrairement à Mous qui tel une tombe restait de marbre sur son récent passé, Mumu se confiait très largement. Son oncle et son frère veillaient sur elle comme deux anges gardiens. Nous étions également très présents.
Moustic est rentré petit à petit dans notre vie. Nous avons presque vécu Sept jours sur sept pendant plusieurs années. Vacances, études, amis, familles. Nous veillions les uns sur les autres. Cette période représente certainement la plus belle et la plus douce de ma vie, même si une partie de moi vivait dans le mensonge car Snooze et moi même n’avions parlé de notre couple qu’à Eric. Nous vivions peut-être caché mais ô putain comme nous étions heureux. Snooze venait me retrouver en cachette dans mon lit, je faisais la même chose chez ses parents. Tout était prétexte pour se faire des petits bisous en douce, dans le coin d’une cuisine ou au fond d’un jardin.
Quelques années plus tard, Mous a rencontré Mary. Nous n’avions pas tout de suite pigé qu’il y avait plus entre eux car Mary était officiellement la petite ami de Stéphane, un pharmacien qui évoluait dans une promotion supérieure. Mais non, nous avions une poutre dans l’oeil, ils sortaient bien ensemble. Seul bémol, Mary aimait toujours Stéphane. Nous étions tous peiné/surpris par la situation sauf Snooze qui a toujours considéré qu’il était possible d’aimer sincèrement deux personnes à la fois. Mary est petit à petit entré dans notre vie. Je pense que je ne lui ai jamais donné sa chance, tout simplement parce que je voyais mon ami, mon très cher ami Mous, profondément blessé, meurtri, malheureux et impuissant lorsque Mary l’abandonnait pour retrouver l’autre, Stéphane. Je pense qu’il n’a jamais souhaité avoir une véritable discussion de fond avec elle de peur de la perdre. En revenant en arrière, je suis maintenant qu’il a tout fait pour la garder et vivre avec elle, de façon exclusive.
Car ce ménage à trois n’était pas viable. Aucune association de ce type n’est viable car il y a forcement au minimum une double victime dans ce trio. Eric était bien évidement victime et bourreau car il n’était finalement que l’amant de Mary, le seul à véritablement plaindre étant Stéphane. Mais il aimait profondément Mary. Nous avons pensé un moment que Mary avait définitivement fait son choix lorsqu’elle s’est installée dans un grand appartement avec Mous. Mais non, elle n’hésitait pas à sortir ou partir en vacances avec Stéphane qui avait in fine pris le rôle de l’amant. Mous n’en parlait pas mais chaque fois que Mary le quittait, Mous était rongé la fois par l’amour et par la tristesse. Il devait de sentir lui aussi abandonné, mais en bonne tête de con, il n’en parlait jamais et gardait tout cela comme un sale cancer au fond de ses tripes. La dernière fois que nous les avons vus ensemble était à l’occasion de l’enterrement du papa d’Eric. Il venait de perdre son dernier parent et se retrouvait aux bras d’une compagne honnête dans son infidélité.
Quelques mois plus tard, après un délicieux week-end passé en sa compagnie à New-York, il a coupé les ponts. Je n’ai jamais compris pourquoi il a souhaité tirer un trait sur son passé et notre amitié très profonde, juste comme cela, d’un claquement de doigts. Une deuxième forme d’abandon. Je comprends maintenant qu’il a souhaité couper la branche pourrie de l’arbre de sa vie et que nous y étions forcement associés. Même si nous le supportions, étions vigoureusement contre la double vie de Mary et étions toujours là pour lui, nous étions d’une manière ou d’une autre associés à sa tristesse et à son malheur. Il a rencontré une autre femme, est devenu son mari, est devenu papa à son tour d’une petite fille, et a finalement rejoint son oncle au sein de la pharmacie familiale.
Même si je ne le vois plus, je prends régulièrement de ses nouvelles. Je sais maintenant qu’il est heureux et je suis à mon tour heureux pour lui. Maintenant je le sais, même si j’en ai été la victime, il a fait le meilleur des choix. Il s’est protégé, s’est reconstruit et semble maintenant serein.
Même si je ne le vois plus, je prends régulièrement de ses nouvelles : merci :thumbup_tb:
C’est un beau récit qui m’a beaucoup touché. Je tenais juste à le signaler, même si je n’ai pas grand chose de plus à ajouter.
Triste, beau, heureux, profond. Tu tiens le scénario d’un film, tu sais?
Cela fait des années qu’on te lit, mais c’est vrai que de temps en temps tu livres des bouts de ta vie, comme ça simplement, directement, et c’est super touchant. Cette histoire ne me laisse vraiment pas insensible en tout cas. T’es fort !! :blink2_tb:
Ça fait du bien de lire d’aussi beaux textes dès le matin. C’est idiot, mais ça fait du bien. :bye2_tb:
J’ai perdu quelques amis comme cela, juste parce que je faisais partie d’un moment de leur vie dont ils voulaient s’éloigner. C’est une sorte d' »orphelinage » avec lequel il faut apprendre à vivre.
Encore un très beau billet ! Merci !
Joli.
Mais votre histoire n’est peut-être pas finie, qui sait ?
Une rencontre chez des amis communs peut se produire non ?
On ne sait jamais…
Je voulais rajouter quelque chose par rapport aux autres mais je m’aperçois que les autres ont déjà tout dit. Un bien beau billet !
:thumbup_tb:
Pareil qu’au-dessus…
Merde, quand j’ai lu j’avais envie d’écrire plein de trucs (rapport que bah oui ça m’interpelle quelque part) mais comme j’étais le premier, j’ai pas osé de peur de passer pour un gros naze. Résultat, les onze ci-dessus m’ont tous piqué mes mots, les salauds!
Je te demanderai bien en mariage du coup. :thumbup_tb:
Le film dont tu t’es inspiré pour ton titre a pas l’air terrible du tout. Ce qui n’est pas le cas de ton billet, bien sûr.
Voir les commentaires précédents. Et merci.
Belle déclaration d’amour blessé. Merci pour ce partage.
Tu lui en veux vraiment beaucoup…
3 posts sur l’abandon et la séparation : c’est fort! mais en même temps ce sont des cris d’amour. Heureux ceux qui aiment
tres beau texte en effet, mais je pense que tu étais bien plus qu’un simple temoin, acteur majeur par moment (peut être involontaire) tu as sans doute bléssé Eric plus qu’il ne t’a bléssé.
le reour de NY fut sans doute décisif.
sans rancune
passy
Oui, Heureux ceux qui aiment et sont aimés, que tout cela vienne du conjoint, de la famille ou des amis.
@ Passy: Qui que tu sois, message reçu. Libre à toi de continuer un échange.
…et mon adresse de contact est toujours la même, alex(at)das.. :laugh_tb:
@ ThiéRit: Happy few est un très bon film servi par d’excellents acteurs.
@Ditom : comme toi tu sembles l’avoir vu et pas moi, je m’incline! Il me donne pas très envie c’est tout (malgré trois des acteurs que j’aime bien normalement – pour la 4°, je suis pas fan de E.Bouchez)
@ ThiéRit: Ils sont tous excellents (y compris Elodie Bouchez sur laquelle, d’ordinaire, je n’ai pas grand avis. Et je ne dis pas ça pour les (grosses) couilles de Nicolas Devauchelle, assez présentes à l’écran.
Quelle belle histoire!
Et quel beau geste de le laisser s’éloigner sans lui en vouloir!
Les hasards de la vie vous réuniront peut-être… :happy_tb: