Cette histoire remonte à l’été 1991. Je devais rester près de deux longs mois dans ce service de psychiatrie. Cela ne m’enchantait guère. Je me souviens parfaitement de mon arrivée. Il faisait nuit, la chaleur était étouffante. Il y avait des barreaux aux fenêtres et il fallait sonner pour pénétrer à l’intérieur du bâtiment. Face à l’entrée, un vieil escalier se dressait devant les visiteurs. La rampe était prolongée par un grillage pour éviter toute tentative de suicide.
Au sous-sol se trouvaient les chambres capitonnées. Deux policiers étaient assis et discutaient. Aucun patient n’était affecté à ces cellules. Seuls quelques colombiens étaient enfermés. On les appelait les avaleurs de boulettes. Avant de partir de Colombie, ils avalaient des dizaines de boulettes de cocaïne. La drogue était enveloppée dans un morceau de préservatif.
Le premier risque était mortel. Si le préservatif cédait, une grande quantité de stupéfiant se retrouvait immédiatement dans le tube digestif du porteur. C’était l’overdose.
Le second risque était de se faire prendre en arrivant en France. Les trafiquants étaient malins. Sur dix personnes embarquées dans l’avion, ils en dénonçaient une ou deux, histoire d’attirer l’attention à la douane. Les autres passaient à travers les mailles du filet. Une fois arrêtés par les agents des douanes, ils finissaient dans ce service de psychiatrie. Une radiographie était réalisée et un officier de police attendait que le passeur chie les boulettes pour les récupérer.
J’avais été froidement accueilli par un infirmier à l’allure de catcheur. Il m’avait conseillé de m’installer dans la chambre proche de leur salle de repos. Deux autres infirmiers fumaient une cigarette dans le couloir. Je me suis assis sur une chaise quelques instants. Ils sont arrivés vers moi, on commencé à plaisanter et m’ont proposé de me faire visiter les fameuses chambres capitonnées. L’atmosphère était glauque, le couloir faiblement éclairé. Soudain, un infirmier m’a poussé dans la chambre, a sorti d’une poche de sa blouse une paire de menottes et m’a attaché à un lit. J’étais coincé dans la chambre sans pouvoir bouger. Ils ont ensuite éteint la lumière et refermé la porte. Ce fut un grand moment de solitude. Au bout d’une demi-heure, ils sont revenus me libérer en se marrant. C’était un bizutage. Ils faisaient toujours le coup aux nouveaux arrivants.
Quelques heures après, ils se sont rendus dans la réserve à linge. Il était près d’une heure du matin et ils dormaient généralement entre 1h00 et 6h00. Je n’ai jamais pu me reposer. Je suis toujours resté éveillé, à l’affut du moindre bruit. Je callais un fauteuil contre la porte d’entrée et restais face à l’escalier.
Tous les patients étaient sous camisole chimique. On ne rentrait pas dans ce service pour un trouble psychiatrique mineur ou léger. Tous ne dormaient pas pendant la nuit. Certains erraient dans les couloirs, à la recherche d’un peu de compagnie. Ils recherchaient de la compassion, une oreille attentive ou souhaitaient juste passer le temps. E venait souvent me voir. Il avait une trentaine d’années mais en paraissait dix de plus. Il voulait toujours me confier un secret ou me raconter une histoire drôle digne de l’almanach Vermot. Il n’avait qu’une seule amie, M.
M portait en permanence un casque de walkman sur ses oreilles, caché par ses longs cheveux. Elle écoutait en boucle l’aigle noir. Elle s’asseyait toujours près de moi, me fixait du regard, me souriait et penchait sa tête au rythme lent de la chanson, les mains croisées sur ses genoux.
Je garde un souvenir contrasté de cette période. N’ayant pas une carapace assez solide, j’ai demandé à changer de service et je me suis retrouvé le mois suivant au bloc cardio. C’était un autre univers. Physiquement plus dur. Moralement, c’était une autre histoire. J’y ai certainement vécu certaines des plus belles heures de ma vie.
Ce billet est ma participation au diptyque version 2.1 d’Akynou. La photographie est d’Alain Bachellier.
Euh…ben rien n’indique dans les regles du jeu que le texte ne soit pas veridique…
Me trompje?
PS: Je ne te l’ai pas dit sur le coup mais tu avais encore les dents pleines de pavot lorsque nous nous sommes quittes ce matin.
En fait, tout le monde avait les chiquots truffes de petits points noirs :devil_tb: