Là-bas là-bas dans la forêt, forêt

Tout comme feu Patrick Poivre d’Arvor, je me suis fixé une date butoir pour mettre fin à ce blog: le jour ou je serai enfin capable d’écrire un billet clair et concis sur le temps qui passe et sur la mort. Seulement voilà, la tache n’est vraiment pas facile. Et merde.

Ma première vie a pris fin le douze août deux mille cinq. Je me suis ainsi réveillé en sueurs, tremblant comme si je sortais d’un vilain cauchemar. Je venais bêtement de prendre conscience que je n’étais pas éternel. Juste comme cela, comme un petit claquement de doigts. Il était temps, je venais tout juste d’avoir trente cinq ans. J’ai tout d’abord pensé commencer une petite déprime. Que nenni. Je venais juste mettre fin à plus de trois décennies d’insouciance. Il faut avouer que faire de très longues études et être homosexuel peut se révéler être parfois un avantage, car tout concourt à repousser le véritable âge de raison, celui des responsabilités, des devoirs et des obligations. Pas d’enfant, pas de travail, pas de biens propres, il suffisait juste de penser à ses partiels ou à ses publications, et espérer que l’avenir soit radieux.

J’ai donc véritablement commencé à travailler à trente ans. Tout s’est passé en douceur car j’ai trouvé un poste avant même de soutenir mon doctorat. Je suis passé d’une institution à une autre sans véritablement réaliser ce qu’il se passait. J’ai toutefois changé de thématique, tout doucement, en passant de l’hémophilie A aux tumeurs hématologiques, puis aux cancers solides. De façon très pernicieuse, mon travail, bien que riche et passionnant, a commencé à me ronger. Je passais et passe toujours une partie de mon temps à parler survie à plus ou moins long terme, cancers foudroyants, tumeurs pédiatriques, effets indésirables ou douleur. Il n’y a pas un mois où je ne me découvre un nouveau cancer. J’en ai tous les symptômes et je vais rapidement crever dans d’atroces souffrances. Je suis donc devenu hypochondriaque en quelques années.

Cette peur de l’avenir a été renforcée après un léger trou d’air il y a quelques années. Je me suis retrouvé comme un légume, comme vidé de toute envie. J’ai soudain eu peur d’avoir raté toute ma vie. Mon existence semblait fade et fragile. Je devais vite réagir, me transformer, aussi bien physiquement que moralement, m’installer, consolider mon union avec Snooze, bâtir quelque chose en commun avec lui, avoir des projets, désirer. En quinze petit jours nous étions propriétaires d’un charmant petit appartement à deux pas du canal Saint-Martin et accessoirement endettés de plusieurs centaines de milliers d’euros. L’excitation n’a été que temporaire. Je tente toujours de me fixer de nouveaux objectifs pour retomber dans la douce amnésie de l’existence, et ainsi oublier que ma présence sur terre est éphémère, inutile et vaine.

Je ne pense pas encore continuellement à la mort. Seuls de petits flashs me rappellent que je suis périssable et que je vais finir tout desséché après avoir été grignoté par une troupe de vers gloutons. Ces pensées apparaissent lorsque je lis un livre, regarde un film ou marche tout simplement dans la rue. Ma relation avec la mort est bien entendu paradoxale. Si ma propre disparition me terrifie, la mort m’aide à surmonter des épreuves difficiles ou certaines injustices. Je me dis souvent in petto en moi même que seule la mort nous rend véritablement égaux et que, favorisés ou pas par la vie nous finissons tous un jour six pieds sous terre.

J’adorerais ressembler à la meilleure amie de ma grand-mère et croire encore en Dieu. Je revois encore son visage et son regard le jour ou nous avons visité en sa compagnie la basilique de la nativité à Bethlehem. Elle était vieille, allait bientôt mourir, mais elle s’en moquait comme de l’an quarante. Elle allait enfin rejoindre Jésus, son Jésus, le Jésus qu’elle avait aimé toute sa vie, celui qui l’attendait certainement au paradis. Ma grand-mère, âgée de 97 ans, est également un bel exemple de stoïcisme et d’impassibilité. Loin est le temps ou elle se posait des questions existentielles. Elle a appris à vivre au jour le jour, et ne pense même plus à la mort. Tout n’est que bonus. Elle le sait, et pense s’endormir un soir, comme tous les soirs, pour ne plus jamais se réveiller.

Cela fait longtemps que je ne crois plus en grand-chose. Je ne crois finalement qu’en la science et au concret. Je ne peux donc affirmer que Dieu n’existe pas et qu’il n’existe rien après. Les grandes envolées sur le fameux tunnel et la lumière blanche apaisante, là-bas là-bas dans la forêt, forêt, me font plutôt rire. J’attends le moment où mon cœur cessera de battre, où mon cerveau déconnectera les millions de petites prises qui me donnent vie. J’espère égoïstement que tout cela arrivera avant mon compagnon, l’idée de vivre seul sans la présence de l’amour de ma vie ne m’excitant pas plus que cela. Idéalement le plus tard possible et dans les meilleures conditions. Mais mon travail me rappelle tous les jours que la vie n’est qu’une vaste loterie, la plus grande des fumisteries.

Toutes ces raisons me font parfois envier la vie des couples hétérosexuels, car enfanter me semble être l’unique moyen de se rapprocher de l’immortalité. Une sorte d’immortalité, mêlant génétique et souvenirs. La naïveté a parfois du bon.

Je n’arrive décidément pas à mettre sur le papier certains de mes sentiments. Ce billet étant un peu pourri, je ne pense donc pas arrêter de bloguer de sitôt.

En même temps, Poivre s’est fait virer et n’a rien choisi du tout… :dunce_tb:

22 commentaires sur “Là-bas là-bas dans la forêt, forêt

  1. En fait tu as bien résumé la situation, oui, tu pourrais arrêter … mais NOOOOOON n’arrête surtout pas … pas avant de m’avoir épousée, en tous cas ;-))
    Sinon, paragraphe 7, à quelques lignes de la fin, j’adore quand ton subconscient te joue des tours …. et il me souvient me semble-t-il que ce n’est pas la première fois … tu as tellement peur de certaines choses, que les phrases s’en retrouvent sans verbe, c’est trop chou, Chondrounet … !
    Des biz avec plein de smileys maintenant que je suis sous mac je peux enfin les utiliser alors je vais pas me gêner : :clap_tb: :thumbup_tb: :blink2_tb: :laugh_tb:

  2. Ce billet n’est pas « un peu pourri » ; au contraire, il est magnifique. Tu y parles d’un sujet qui me préoccupe et m’empêche parfois de dormir. Il m’arrive de me réveiller en sursaut et de réaliser qu’un jour tout s’arrêtera pour moi, et cette idée m’est aujourd’hui insupportable. Je crois que j’aurais beaucoup de mal à en parler dans un billet comme tu l’as fait ici avec beaucoup de brio.

  3. on a plein de points communs (certainement les mêmes que plein de gens de plus de trente et quelques années qui ont côtoyé la mort…), et pourtant j’ai des enfants… J’adore ton billet, comme toi quand un projet m’habite je revis puis ça retombe. Oui, tu as raison voir partir ceux qu’on aime, par la mort ou d’une autre façon, la séparation par exemple, c’est le drame…

  4. Ouais, ben une fois que t’as enfanté, tu es pété de trouille :
    – et si ton enfant meurt ?
    – et si tu meurs trop tôt en abandonnant ton enfant ?
    Alors, bon.
    Sinon, vivivi, c’était tout pourri, tout pourri, comme billet – ça va, t’es convaincu qu’il faut continuer, là ?
    :devil2_tb:

  5. Ah bon, il est mort, Poivre ?

    Je ne crois pas que le fait d’avoir des enfants change quoi que ce soit de notre rapport à la mort, à part d’être terrifiés à l’idée qu’elle puisse les atteindre avant nous.
    Nos enfants peuvent être très différents de nous et donc ne nous donner en rien l’illusion d’une quelconque pseudo-immortalité par procuration.
    (si ça peut te consoler).

    Ce billet allait déjà bien en ce sens, clair et presque concis, mais ne t’arrête pas pour autant, d’accord ?

  6. Ne sois pas dur avec toi-même 🙂 Ce billet n’est pas « pourri », seulement il est très difficile d’exprimer exactement ce que l’on ressent sur ce terrifiant passage.

  7. Ta présence sur terre est éphémère,c’est vrai,inutile et vaine,c’est faux.Vous vous êtes trouvés Snooze et toi,ta présence lui est nécessaire.
    Il y a plein de choses positives dans ta vie,ton compagnon,tous les 2 un emploi,un appartement,des voyages.
    Ma mère a le même âge que ta grand-mère,et moi l’âge de tes parents.Statistiquement je suis plus proche de la mort que toi,je crains plus la complète dépendance et la souffrance,que la mort.
    Quand j’avais 20ans,je suis parti 15 jours,dans un club de vacances.
    La 1ére semaine,était formidable,je me suis éclaté.La 2éme,j’ai commencé à faire une tronche pas possible,car les vacances se terminaient.Mes amis étaient morts de rire.
    Résultat des courses,j’ai gâché ma 2éme semaine de vacances,en redoutant la fin,qui de toute manière était inéluctable.
    Sois moins bête que moi,ne gâche pas ta vie,en redoutant l’avenir.CARPE DIEM.
    Je ne pense pas qu’il faut avoir des enfants uniquement pour avoir l’impression de prolonger sa vie.
    Bon je m’arrête,je ne voudrais pas,qu’à la suite,tu puisses rédiger un billet clair et concis sur la mort.C’est que j’apprécie ton blog et ne voudrais pas me faire lyncher par les autres blogueurs furieux de ton arrêt. :clap_tb:

  8. Ouf j’ai eu peur que ce billet ne soit comme tu le souhaitais : clair et concis. Bon ce n’est jamais évident d’écrire un tel billet…
    Maintenant ça te donne la possibilité de ne pas arrêter ce blog qui plait à beaucoup de monde :laugh_tb:
    Allez continue !! :clap_tb:

  9. Ah ce titre ! Ulrika !!!!!!!

    Mais je crois que ta conclusion est la bonne. Et que les petits flashs ne sont là que pour rendre doux le savourage de bons moments. C’est le voyage, qui est intéressant, pas sa destination…

  10. Très beau billet qui me parle intensément. J’avais exactement ce type de conversation avec un charmant garçon dimanche soir, sur l’angoisse de la mort et ce qu’on laissera derrière soi… L’angoissante (égoïste?) ?)question qui me taraude depuis quelques temps de ne pas avoir d’enfant, de ne pas se perpétuer en quelque sorte, de tomber dans l’oubli et finir par n’être plus rien pour personne… Sujet inépuisable.
    Je crois que Nachu a raison : il faut savoir profiter pleinement de l’instant présent, sans se soucier du lendemain, qui n’aura peut être jamais lieu… Ainsi va la vie.

  11. Je voudrais juste dire qu’à mon avis, l’immortalité est exactement le genre de truc à faire grimper les statistiques des matricides et parricides.
    Tiens, par exemple, le Prince Charles, je suis sûre qu’il se retient, certains matins…
    Sinon, bah… Je crois qu’on vit somme toute mieux en se disant que de toute façons, ça finira mal. Mais je crois que c’est pls facile quand on se dit qu’on a eu le temps. A l’échelle de ce que vit l’humanité en général, géographiquement et historiquement, moi, je serais déjà mourrue si je vivais ailleurs ou antérieurement. Et après avoir trimé comme une bête de somme au lieu d’écrire des couneries au coin du feu avec un muscadet.
    Alors…

  12. Ton texte me renvoie à ma terreur, et si la mienne est différente de la tienne, la sensation d’étouffer quand j’y pense me semble la même que toi.
    Bizarrement la mort et la fin de tout (pour moi en tout cas, ben oui ce foutu monde continuera de tourner et ça c’est dégueulasse) me terrifie beaucoup moins que la souffrance et la dégénérescence physique ou mentale.
    Quand j’ai entendu ce fait divers atroce à propos de cet homme que l’on croyait dans le coma pendant 23 ans et qui en fait était conscient, j’ai vu mon cauchemar se réaliser. Cauchemar que j’avais entraperçu dans johnny got his gun, mais que je croyais n’être qu’une fiction qui ne pouvait jamais arriver.
    A choisir j’ai toujours penser que je préfèrerais la fin de l’aventure qu’une mort à petit feu, cela dit je sais bien que tant qu’on n’y est pas, il est difficile de savoir comment on pourra réagir.
    Si la mort de ceux que j’aime, elle me terrifie, la mienne en revanche je crois que je pourrais l’appréhender avec philosophie dés l’instant où je pourrais avoir la certitude de mourir « comme on éteint la lumière ».

  13. Il parait que la différence fondamentale entre tous les mammifères et nous c’est de nous savoir « mortels » :thumbdown_tb: :thumbdown_tb:
    Pour me rasséréner je pense souvent à ma condition de mammifère pas du tout supérieur,née et par là même moribonde… :bye_tb:
    Hétéro avec enfants je n’en ai pas pour autant de descendance(petit fils « adopté »)cette branche est « morte »
    Au bout du compte c’est peut-être très bien! :devil_tb:

  14. Comme Gilda, je ne pense pas que le fait d’avoir des enfants change quoi que ce soit dans notre rapport à notre propre mort…
    Mais je suis d’accord avec toi avec ta conclusion : il est tout pourri ce billet. J’espère donc te lire encore longtemps! :clap_tb:

  15. Ouf tu n’arrête pas de bloguer :clap_tb:. L’immortalité j’ai toujours eu des doutes et la conscience finale de cette ineptie m’a été confirmé lors du décès de ma mère il y a quelques mois. Etant père et grand-père je « profite » beaucoup de mes petits-enfants mais je ne crois pas que je laisserais plus de trace que toi une fois disparu et j’espère que celà viendra sans souffrance le plus tard possible et en bonne santé. Mais cette fin je la vivrais seul comme tous

  16. @ Anita : à propos du Prince Charles, a-t-il finalement épousé Shrek, ou bien est-il resté à la colle ? En tous cas, je prendrai bien un p’tit coup de muscadet au coin du feu, moi aussi -)

  17. « Je ne crois finalement qu’en la science et au concret » ha bah comme billet bien pourri on a trouvé le gagnant :furious_tb:
    Et dans l’homme de ta vie non? Dans l’amuuuuuuuuur ? :thumbup_tb: :thumbup_tb: :thumbup_tb: :thumbup_tb:
    Ces scientifiques sont parfois un peu cons :jittery_tb:
    Mais on les aime bien quand même :dunce_tb:

  18. Hum, j’aime quand roidetrefle joue à la métaphysique, et trouve son billet-réflexion sur la mort « pourri » en conclusion : le choix du terme aurait fait les délices d’un psy !
    Mais non il est pas pourri, ton billet, mon grand, il est même drôlement subtil. La preuve, j’adhère à ce que tu y expliques, de A à Y (modestie, quand tu nous tiens). Le seul Z qui « colle » pas, selon moi, c’est l’idée selon laquelle les hétéros prolongent leur vie, d’une certaine façon, dans leurs enfants. Trompeuse croyance, idée fallacieuse. Ou, si elle est vraie, je pense en tout cas qu’il y a beaucoup d’autres façons de prolonger sa propre existence, sans pour autant devenir célèbre ou marquer l’histoire.

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