Nous vivions nos dernières heures à Beijing. Nous étions rentrés par hasard dans cette maison de thé, située entre la cité interdite et le temple du ciel. L’atmosphère semblait chaleureuse. La décoration intérieure était sobre. Les meubles étaient recouverts de bois rouge foncé. Le parquet brillait. La maison était divisée en plusieurs petits salons. Une vendeuse se tenait à la disposition des visiteurs dans chaque alcôve. Elle était assise derrière un bureau. Ce n’était pas qu’une question de vente. Le thé était précieux. Il fallait connaître son histoire. Il fallait apprendre à l’aimer. Il se méritait.
Nous souhaitions assister à une cérémonie du thé. Nous avons pénétré à l’intérieur de l’établissement. Une hôtesse nous a immédiatement accompagné jusqu’à un salon situé au fond de la boutique. La lumière était feutrée. Les sièges étaient confortables. Elle s’appellait Zhao Hong Xia. Nous l’intriguions. Elle n’était pas bavarde. Elle semblait froide. Elle nous proposa de déguster deux thés au jasmin, et un thé oolong. Nous avons essayé de discuter avec elle. Son anglais était rudimentaire. Notre chinois était inexistant. Nous communiquions par signes. Elle commençait à sourire. Sa voix était douce.
Elle a fait légèrement bouillir l’eau. Elle touchait de temps en temps la théière. Pour ce thé, l’eau devait être à 85°C. Pour d’autres, plus fragiles, la température ne devait pas excéder les 60°C. Elle avait l’habitude. Elle était capable de connaître la bonne température, juste en effleurant la bouilloire. Tous ses gestes étaient méticuleux.
Zhao Hong Xia habitait tout près du temple du ciel. Elle venait travailler en bicyclette. Son travail lui plaisait. Elle souhaitait s’acheter une voiture. C’était un signe de richesse.
Dans quelques années, dans quelques mois, dans quelques jours, elle sera sacrifiée. Sa maison sera détruite. Pékin est un monstre en pleine mutation. C’est la vitrine de la nouvelle Chine, moderne et conquérante. Tout doit être prêt pour les futurs jeux olympiques. On rase des quartiers entiers, on sépare des familles, on détruit des vies. Les habitants sont repoussés au loin, dans des banlieues sordides, loin de la cité historique. En attendant, des milliers d’habitants sont entassés dans des camps insalubres. On cache ces bidonvilles derrière de gigantesques publicités vantant le miracle économique chinois. Le monstre est en marche, et rien ne pourra l’arrêter.
En attendant, Zhao Hong Xia rêve à une vie meilleure.