C’est la première fois que je publie ici depuis bien longtemps.
Cela faisait plusieurs mois et peut-être plusieurs années que je poussais ma mère à aller consulter un neurologue ou a minima en parler à son médecin généraliste. Elle trouvait toutefois toutes les excuses ou raisons qui pouvaient expliquer que son avant-bras gauche et sa main bougeaient en permanence. Le diagnostic clinique est finalement tombé et elle ne l’a jamais accepté. Elle venait tout juste de franchir le cap des quatre-vingts ans était officiellement atteinte de la maladie de Parkinson. C’était il y a huit ans.
Je n’ai pas trouvé les mots pour la rassurer. Je n’ai pas été à la hauteur. Je me suis comporté comme souvent dans ma vie professionnelle, en usant du second degré pour masquer mes inquiétudes, peut-être pour me rassurer moi, ou admettre mon impuissance et mon incompétence. Les premières semaines ont été difficiles, plusieurs spécialistes ont été consultés, et maman a été mise sous traitement afin de minimiser les effets de la pathologie et notamment les tremblements. Si je connaissais la maladie, je n’étais pas neurologue. Oui je connaissais les signes généraux, oui je connaissais les traitements et certains effets secondaires, mais non, je ne pouvais pas me mettre à sa place. Elle ne comprenait également pas pourquoi tout cela lui était tombé dessus. Pas de cas familiaux connus par le passé. Elle pensait peut-être avoir été exposée à trop de produits chimiques lorsqu’elle était jeune infirmière, à un moment ou les conditions d’administration des médicaments étaient moins strictes. Dans tous les cas elle vivait une injustice et elle avait raison.
Le traitement a finalement débuté. Si le choix semblait le bon, il fallait trouver la dose optimale et surtout gérer les effets secondaires, nausées, anxiété(s), dépression, perte d’appétit, certains ne pouvant pas forcément être imputables au traitement mais à la maladie. Maman pesait une petite cinquantaine de kilos pour 1m65, elle était fine et toute perte de poids était problématique. Même si certaines addictions avaient été rapportées chez certains patients, nous n’avons jamais rien observé chez elle. Refusant la maladie, elle refusait naturellement le traitement et trouvait toutes les bonnes raisons pour ne pas prendre trois fois par jour ses petites gélules rose et bleues. Il me fallait donc être attentif, tout comme ses amis. Le temps a passé, les premiers effets secondaires se sont atténués ou ont disparu, la dose semblait la bonne. Je l’appelais tous les jours et je glissais systématiquement la même phrase entre deux sujets : Ah au fait maman, as-tu pensé à prendre ta dopamine? Nous étions toutefois dans la phase lune de miel de la maladie.
Oui maman avait la malchance d’avoir été diagnostiquée, mais la maladie semblait miraculeusement maitrisée la première année. Peut-être n’avait-elle pas assez été informée des risques associés à la maladie. Les tremblements sont souvent associés au Parkinson mais la maladie ne se résumait pas à ces derniers. Le plus sérieux me semblait alors le risque de chute. Juste avant le COVID, maman est tombée plusieurs fois. La dernière, face au commissariat de la ville de sa maison de campagne. Elle a crié au secours, personne n’est sorti alors que des fenêtres étaient ouvertes et les lumières allumées. Elle a toutefois miraculeusement réussi à appeler son voisin qui l’a conduite aux urgences. Paupière et lèvres ont été recousues, une dent a été cassée.
Maman était également obsédée par les tapis qui se multipliaient à Paris ou dans sa maison de campagne. Tout était fait pour qu’elle se casse la figure. J’ai tenté de les supprimer ou de les coller. Peine perdue. Je la retrouvais également perchée sur un tabouret à nettoyer ses vitres ou changer ses rideaux alors que j’étais présent. De même, puisqu’elle n’acceptait pas la maladie, elle n’acceptait aucune aide. Elle était indépendante et elle allait le rester.
La pandémie de COVID est passée par là. Maman était devenue ma priorité. Même si elle demeurait à trois stations de métro de chez moi, même si j’avais la possibilité de me déplacer plus loin que le kilomètre autorisé, je ne souhaitais pas risquer de la contaminer. J’avais installé des écrans/caméras dans les pièces principales de son appartement et elle savait se servir de FaceTime. Je l’appelais plusieurs fois par jour pour vérifier qu’elle avait tout le nécessaire. Au bout de trois mois de confinement, elle avait perdu du poids. Lors de la libération, je l’ai emmenée dans sa maison de campagne. Je pensais que la qualité de vie serait bien meilleure pour elle, et j’avais partiellement raison. Nous sommes arrivés en Corrèze fin mai.
Le but était qu’elle reprenne du poil de la bête car ses muscles avaient fondu. Il fallait penser à un nouveau régime alimentaire, à recommencer à lui faire faire de l’exercice et surtout qu’elle se sente bien. Je suis resté le temps qu’il fallait. Je lui préparais ses repas et lui cuisinais ce qu’elle aimait, elle remarchait de plus en plus loin. Deux kilomètres, trois, quatre, cinq. Je me souviens d’un merveilleux dimanche ensoleillé ou nous nous sommes aventurés sur la montagne située face à la maison. Nous avons parcouru dix kilomètres à grimper entre les rochers et les genets. Nous avons pris de nombreuses photographies, elle semblait heureuse, et son bonheur irradiait. Les traces de la COVID semblaient effacées à mon départ. Depuis ce mois, j’ai passé presque trois mois par an en sa compagnie, jonglant entre télétravail délocalisé et jours de congés.
Le temps a passé. Les effets secondaires de la dopamine semblaient s’estomper, la maladie semblait partiellement maitrisée. Certes, je remarquais toujours quelques tremblements, elle était très fatiguée, mais elle ne perdait plus de poids et ne tombait plus. Quelques autres signes montraient la présence de la maladie. Larmes liées à un moindre clignement des yeux et donc une sécheresse oculaire, (je plaisantais en lui disant qu’elle ressemblait à un panda quand son maquillage coulait) une diminution d’appétit, une constipation parfois difficile à gérer, et un état dépressif qui pouvait laminer tous les efforts consacrés à son bien-être. Pour l’appétit, j’ai vite compris que je ne devais lui proposer que ce qu’elle aimait : Je gavais le congélateur de glaces, je lui apportais des kilos de gaufrettes hollandaises au caramel qu’elle adorait, je préparais avant de la quitter des plats que je congelais. Il fallait également prendre en compte les difficultés qu’elle pouvait avoir à couper, mastiquer puis avaler les aliments. Tous les détails comptaient.
L’hiver, maman rentrait à Paris. Nous passions la période de Noël ensemble à la maison. Elle était vraiment heureuse. Cela me permettait de veiller encore plus sur elle. Toutefois, je mentais à moi-même. Je pensais que j’étais capable de pallier tous les problèmes, je pensais que j’étais capable de lui assurer sécurité et confort, je pensais qu’en bougeant et en s’alimentant tout allait s’arranger. Mais le constat était le même : Elle remontait la pente lorsque j’étais avec elle, et s’étiolait suivant mon départ. Sa vie n’était qu’une sinusoïde a pente descendante. Je le savais mais je me convainquais du contraire.
J’étais également de plus en plus inquiet de défauts cognitifs. J’avais parfois l’impression que son comportement était anormal. Je me souviens de ce jour de janvier l’année passée ou nous devions nous rendre chez son neurologue. Nous devions partir tôt le matin. J’avais oublié mes clefs et elle est descendue en robe de chambre m’ouvrir la porte de l’immeuble. Elle n’avait pas pu me répondre via l’interphone et tenait des propos incohérents. Nous nous sommes finalement rendus chez le neurologue qui a considéré que sa maladie n’avait pas évolué. Elle ne l’entendait pas. Son spécialiste a envisagé un état dépressif. Nous sommes rentrés à la maison et les dix jours suivants ont été infernaux. Elle semblait perdre la tête, ne répondait plus ni au téléphone ni via sa tablette. Elle ne mangeait également plus. Elle refusait de prendre sa dopamine et considérait que les médecins lui mentaient.
J’ai suivi la même stratégie en la convaincant de passer une dizaine de jours chez moi et en pensant que tout n’était question que d’effets secondaires, de dosages de médicaments, et d’aide et accompagnement. Ces dix jours de février furent concluants. Nous avons fait le tour des spécialistes, elle a même accepté de réaliser un bilan auditif et porter une prothèse, et je lui ai proposé de voir un gériatre spécialisé dans le Parkinson. Son accueil a été formidable. Il lui a dit qu’elle avait beaucoup de chance car son Parkinson était sympathique car aucune évolution depuis diagnostic et tolérance du médicament de référence. Elle a même été invitée à danser une valse dans son cabinet afin d’évaluer le contrôle de ses mouvements. Tout semblait le meilleur possible et j’étais un peu rassuré sur son état. De plus, tous les problèmes cognitifs avaient disparu. Toujours cette sinusoïde qui montait et descendait.
Nous sommes ensuite repartis en Corrèze. J’ai toutefois insisté pour qu’une infirmière puisse passer trois fois par semaine pour l’aider et vérifier son état général. Un kinésithérapeute passait également deux fois par semaine. Ses voisins et amis veillaient également sur elle, et nous discutions tous les jours via Alexa ou FaceTime. Nous plaisantions toujours sur ce gentil médecin qui lui avait annoncé que son Parkinson était sympathique. Cette annonce a toutefois eu un double effet : (i) un effet rassurant sur son état, mais (ii) lui a fait encore plus rejeter son traitement par dopamine. Ainsi, pourquoi prendre un traitement pour une maladie sympathique?
J’ai enfin compris bien tardivement quel pouvait être le pire effet de cette maladie : le facteur confondant qui biaisait l’évaluation de l’état général de ma maman. Tous les maux étaient mis sur le dos de la maladie, la grande fatigue, la perte d’appétit, le poids, la dépression, l’incohérence temporaire. Même en consultant spécialistes et généralistes, seul le Parkinson semblait responsable, et j’en étais moi-même totalement convaincu. Il n’y a pas un jour ou je ne me le reproche pas, étant persuadé que je n’ai pas fait tout mon possible pour accompagner une mère qui a consacré toute son énergie et son amour à son fils.