L’abandon

On peut certainement appeler cela le destin. Je suis né au tout début des années soixante-dix à l’hôpital Boucicaut. Mes parents se sont mariés certainement par convention sociale, sans s’aimer plus que cela. Il m’ont conçu, vraisemblablement par accident cinq ans après leur union. Je n’ai jamais pensé être un enfant désiré. Ni par ma mère qui a déclenché une dépression du post-partum après avoir accouché, ni par mon père, adolescent attardé qui ne pensait qu’à la tromper. Le petit Alexandre que j’étais commençait donc les premiers jours de sa vie dans un univers très incertain. Maman s’est vite aperçue qu’elle était trompée, au sens propre comme au sens figuré. L’élément déclencheur a été une boucle d’oreille ne lui appartenant pas retrouvée dans le lit conjugal. Le ver était dans le fruit, la pomme commençait à pourrir, il fallait qu’elle préserve son fils et tente de sauver les meubles de sa vie.

J’ai donc été exporté pour de fausses raisons médicales en Auvergne chez ma grand-mère maternelle. Le coup était double: (i) ma grand-mère venait de perdre son mari et se retrouvait donc seule, et (ii) cet éloignement me permettait d’être loin des scènes de ménages quotidiennes qui détruisaient le couple que formaient encore mes parents. Je me suis donc rapidement retrouvé dans un milieu qui ne correspondait pas forcement à celle d’un enfant de deux ou trois ans. J’ai rapidement appris à m’occuper, à jouer seul, sans forcement avoir l’envie ou le besoin de communiquer avec des enfants de mon âge. J’étais entouré en permanence par des retraités, un peu isolé dans un grand bocal rempli de formol.

Ma mère a fini par quitter mon père. Elle a décidé un soir de sortir du placard une vilaine valise en matière synthétique, y a déposé le strict nécessaire ainsi qu’un ours en peluche rouge, puis s’est installée dans une chambre de bonne louée dans l’urgence tout près des Buttes Chaumont. Elle connaissait bien le propriétaire car mon arrière grand-père avait été l’architecte de l’immeuble au début du siècle. Je suis vite venu la rejoindre. Je me souviens encore d’une grande pièce vide, d’un matelas posé sur le parquet sombre, et de cette valise ouverte contre le mur. Une place m’avait été trouvée à l’école catholique du quartier. Maman repartait de zéro, un enfant à charge, à l’aube de ses quarante ans.

Jusqu’à ce départ, nous n’avions jamais eu de problèmes d’argent. Ma mère avait bien heureusement facilement trouvé un poste d’infirmière à l’hôpital Tenon. Il fallait toutefois payer une nourrice. La seule solution était donc de faire les deux huit. Maman travaillait donc à l’assistance publique le jour, puis quittait son travail pour enchaîner des gardes dans une clinique privée. Elle venait ensuite me chercher chez la nourrice avec un grand plaid bleu en laine. J’étais endormi depuis longtemps. Je me retrouvais le matin dans mon lit. Elle était déjà réveillée. Tout était prêt pour partir à l’école. Elle était également prête à partir à l’hôpital. Je me souviens encore du parfum qu’elle portait, « Ho Hang » de Balanciaga. Il m’arrive parfois de sentir cette putain d’odeur. Elle m’écœure et me rend toujours triste car elle symbolisera toujours un instant de séparation et d’abandon.

J’ai moi aussi commencé à refaire ma vie à Paris. J’ai commencé à me faire quelques amis, mais suis toujours resté très solitaire. Je vivais dans une sorte de paradoxe. Je détestais les cris, l’agitation, la promiscuité, mais jalousais à la fois mes amis qui évoluaient au sein de grandes familles très vivantes. Le soir, une nounou venait me chercher à la sortie de l’école. Je faisais mes devoirs puis jouais seul dans ma chambre. J’ai ensuite vite grandi et un équilibre s’est instauré entre ma mère et moi. Peu de temps après mes dix ans, je me suis pris en charge. Je me déplaçais seul à Paris, je faisais les courses, cuisinais, lavais, repassais mes affaires et travaillais seul. J’ai toujours eu peur de représenter un fardeau pour ma mère et tentais un maximum de lui simplifier la vie.

J’ai commencé à avoir de vrais amis au lycée. Un nombre vraiment très limité. Ils se sont vite substitués à ma non famille. Notre relation s’est étiolée pour des raisons diverses et variées lorsque nous sommes entrés à la Faculté. Nous vivions chacun des expériences différentes et commencions à évoluer dans des univers diamétralement opposés. J’ai de mon côté découvert de nouveaux amis, amis qui se sont révélés être essentiels et qui ont rapidement pris la place de ma non famille. Je les ai aimés et les aime toujours d’amour. Peut-être plus fort encore. Delphine, Eric, Kristell, Cécile et bien entendu Snooze, devenu depuis mon cher et tendre mari. Nous nous connaissons et nous aimons depuis maintenant vingt ans. La vie est belle mais ironique. Les couples se font et se défont, les enfants naissent, les opportunités professionnelles pimentent nos existences, nous sommes en mouvance permanente.

La première à quitter Paris fut Kristell. Delphine à suivi le mouvement en partant pour Clermont. Je me souviens avoir fondu en larmes comme jamais le jour de son départ. Eric à coupé les ponts du jour au lendemain sans la moindre explication. Cécile est partie s’installer à Bordeaux depuis deux mois. Lors de notre dernière rencontre, j’ai croisé très furtivement ses yeux humides. J’avais tellement envie de la serrer de façon irraisonnée entre mes bras, de tenter de la convaincre de ne pas partir, de ne pas me laisser, qu’elle faisait une connerie, que j’avais besoin d’elle et que je l’aimais.

J’ai maintenant confirmation que la vie n’est qu’une boucle merdique, qui tourne et qui tourne sans cesse, et qu’il faut décidément être à la fois égoïste, vigilant et vraiment très résistant pour supporter ses cruelles rotations.

15 commentaires sur “L’abandon

  1. Toujours émue et touchée quand tu écris sur l’amitié. J’ai hâte de lire les 2 et 3/3 parce que je n’aime pas trop la fin de ce billet qui me semble bien triste. Même si je n’y parviens plus moi-même toujours bien, je crois qu’il faut y croire néanmoins.

  2. C’est ça qui est dingue, dans la vie. C’est qu’on peut se crever le cul à faire ce qu’on peut, au mieux, au moins mal, pour le mieux de ses enfants. Mais que ça ne marche pas. Je suis sûre que ces séparations pesaient également sur ta mère.

    Bien normal que ça te déchire, quand les plus chers à ton cœur s’éloignent.

    Mais j’espère que dans les billets suivants, tu nous raconteras comment finalement, loin des yeux : pas si loin du coeur.

    Je le souhaite très très fort.

    Je t’embrasse.

  3. Bien triste billet au prime abord mais qui montre l’importance de fondations solides et de l’amitié.
    Nous serons toujours là pour toi mon roidetrefle…

  4. Visiblement la cicatrice est toujours douloureuse.
    Mais si la vie te sépare (provisoirement,j’espère)de tes amis),n’oublie pas que le plus important reste à tes côtés.
    Prends soin de toi.

  5. Billet émouvant. Mais il faut ménager un peu tes lecteurs. Des titres du genre « l’abandon »; « la fin », « this is the end » peuvent prêter à grande confusion. A moins que tu ne t’inspires de France Dimanche et de ses bonheurs foudroyés. mais non, ce serait trop indigne. Pas le genre.

  6. Disons quand même que jusqu’aux années 1975, on était un paquet à être des lardons peu désirés oire carrément indésirables, et ça ne nous a pas empêchés de vivre aussi heureux que les adulescents rois de popa et moman shotés à Casimir (hein!)

  7. Curieusement ce blog est le seul dont je lis les articles jusqu’au bout.

    Je te trouve pessimiste et regarde le bon côté des choses : aujourd’hui il existe Facebook :happy_tb:

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