Le cocon

J’ai toujours ressenti le besoin de me sentir rassuré. Certainement parce que j’ai rapidement eu à prendre ma vie en main et vivre de façon très indépendante. Tout cela est très contradictoire, car j’ai quitté le domicile familial à vingt-sept ans, toujours étudiant, et pour des années encore. Ma mère et moi n’avions cependant pas les mêmes horaires, ni les mêmes habitudes et ne nous croisions que très rarement. Chacun gérait sa vie de son côté. Ma chambre restait mon territoire. Je l’avais transformée en pièce de villégiature. Douillette, confortable, chaleureuse et cosy. Je comprends pourquoi je reste si casanier aujourd’hui encore. Pourquoi quitter un endroit où l’on se sent bien et en sécurité? Un peu con, non?

Quelques années après avoir mis les pieds à la faculté, nous avons pris possessions d’un local et en avons fait notre quartier général. Il s’agissait du labo photo. Une pièce était consacrée au développement et au tirage des clichés. L’autre, servant initialement de sas, était bien plus conviviale. Nous y avions installé un canapé convertible, une cafetière, une chaîne hi fi et l’avions décorée avec les moyens du bord. Nous séchions souvent les cours et passions des heures enfermés dans le local. Il nous arrivait même d’y dormir. Nos vêtements sentaient la cigarette et les produits chimiques. Nous étions heureux comme des coqs en pâte. Petit à petit, nous avons découragé les autres amateurs de photographie. Ce local était notre nouveau chez-nous. Nous nous y retrouvions le matin avant d’assister aux cours, y déjeunions et y finissions la journée. Nous étions cinq et ne nous séparions que pour mieux nous retrouver en soirée ou le week-end, chez l’un ou chez l’autre. Ces courtes années furent certainement mes plus belles, même si mon avenir restait à l’époque plus qu’incertain. Il n’existe décidément rien de mieux que l’insouciance estudiantine. Cependant, tout à une fin et il m’a fallu quitter amis et quartier latin pour rejoindre un autre milieu, tout aussi chaleureux.

Lorsque j’ai débarqué à l’hôpital Broussais, il m’a rapidement fallu faire mon trou. Ma première année d’étudiant était très précaire. J’ai cependant vite été adopté par la grande famille que formait l’équipe, constituée d’étudiants venant des quatre coins du monde. Nous étions alors quatorze à nous partager trois Mac, deux adresses e-mail (oui oui, l’année 1996-1997 était encore la préhistoire du net, Netscape 2 et des modems qui faisaient tuuuuu tuuuuu zboing zboing crrrrr) et quatre bouts de paillasse. Notre laboratoire possédait une petite rotonde. J’y ai vite fait mon nid et dégoté un vieux Macintosh. Je partageais deux mètres d’un petit bureau avec un bulgare. Un peu plus tard, François et moi-même avions hérité d’un espace bien plus important. Nous avions un petit laboratoire et un bureau rien qu’à nous. Je me souviens avoir passé des jours à repeindre murs et placards (d’un délicieux vert Provence), installé du matériel rutilant et customisé notre bureau. La parenthèse dura quatre petites années. Mais il me fallait grandir et ne pas refuser la proposition que l’on m’avait faite. Deuxième rupture. Tout était à reconstruire.

Je fais partie de ces chanceux qui n’ont jamais eu à rechercher le moindre stage ou le moindre travail, mes souhaits ayant été exaucés avant même que je ne les formule. On appelle également cela de l’inconscience ou de la folie. J’ai toutefois difficilement vécu mes premiers mois chez Bonum. Il fallait que je fasse mes preuves et que je me tienne à carreau. La moindre excentricité était synonyme de perte de poste. Petit à petit, j’ai rencontré les bonnes personnes aux bons moments. Les missions et les responsabilités ont évolué. On appelle cela avoir le cul bordé de nouilles. Je navigue dans un milieu peu hiérarchique qui m’offre une liberté incroyable. Je passe pour certains pour un doux dingue, pour d’autres pour un chieur. Mon grand patron me surnomme le pilon, en hommage à l’un de ses patients qui adorait se faire interner et décorait toujours sa chambre d’hôpital. Ma philosophie est la suivante: pourquoi travailler dans un milieu austère? Ne peut-on pas être à la fois farfelu et sérieux tout en restant crédible? Je passe plus de dix heures par jours dans mon bureau, bien plus qu’à la maison. Alors pourquoi ne pas me faire plaisir et évoluer dans un endroit gai (humour) et coloré? Un peu pédé tout ça. Et non, je ne travaille ni dans la mode, ni dans le spectacle.

Je me suis donc installé, petit à petit. Cadres, peluches géantes, tapis, photographies, lampes, fauteuils. Je suis libre et j’en profite. Je travaille dans un bureau Fisher Price et je m’y sens bien.

Assez bien pour ne plus avoir envie de rentrer chez moi en fin de journée. Snooze en est même effrayé et me fait souvent la morale. Je m’en tape le croupion sur la banquise jusqu’à faire des étincelles. :bye_tb:

Nous n’avons décidément pas les mêmes valeurs.

16 commentaires sur “Le cocon

  1. Moui… J’ai eu un collègue un moment, aux Etats-Unis qui avait aussi personnalisé son bureau un peu comme celui-là mais ça a vite dégénéré. Les murs étaient couverts du sol au plafond par des centaines de cadres de ses diplômes même les plus nuls, de photos de vacances, de portraits de poètes mystérieux, de saloperies ramenées de voyage, de petits tableaux trouvés chez des brocanteurs, de chapeaux de toutes sortes et de flingues. Le sol était couvert de poufs, de coussins, de mahicns et de trucs et son bureau supportait au moins 5v lameps biscornues, des coupe-papiers, des sous-verre, des photos de famille et de gros poissons qu’il avait pêchés. Le jour où il a fallu déménager ça,, le mur était comme un porc-épic, couvert de clous. Pourquoi je dis ça ? Pour faire mon malin et aussi pour laisser le premier commentaire. Nous avons les mêmes horaires.

  2. je trouve que tu imites le modem à la perfection ! tu me le referas en vrai la prochaine fois qu’on se verra, dis tu me le referas ? hein ? :laugh_tb:

  3. Là tu donnes un milliard de bonnes raisons à l’équipe de nettoyage de ne pas toucher un seul bibelot à dépoussiérer sur ton bureau. Et que je te passe le chiffon sur le bureau en contournant tous les objets.
    Et les coups d’aspirateur qu’elle doit se prendre dans le bide la grosse peluche assise par terre, je ne te raconte pas. Ou alors une prochaine fois. :king_tb:

  4. Tu en as de la chance ^^.
    Chez nous, c’est plutôt affiches de chats ou chatons, petits-enfants, etc…
    Bon comme dit, je n’ai pas encore amménagé mon bureau (vu que j’en ai changé ^^) mais ça viendra sûrement.

  5. « Ne peut-on pas être farfelu et sérieux tout en restant crédible? »
    T’aurai dû venir exposer ta théorie à mon maître de stage, qui a failli me renvoyer parce que mon pantalon n’avait pas d’ourlet et était trop long (oui je ne fais pas la taille standard, comme la plupart de tout le monde), et avait avancé qu’il ne voulait pas perdre sa patientèle. A côté de ça il avait un énorme paquet de cables électriques, informatiques et tout emmêlés sur le sol crade. J’ai toujours du mal à comprendre.

  6. comme j’aurais voulu pouvoir décorer le bureau ou l’agence de cette façon! m’enfin dans les paysagers ,des designers sont payés pour te créer un espace de travail ouvert, gai et sobre à la fois , fonctionnel surtout et la touche personnelle admise , un cadre pas trop encombrant ou une gentille maxime !

  7. Ca fait plusieurs minutes que j’essaie sans succès de déterminer ce qu’elle représente, la peluche sur la photo : une vache qui fait le grand écart…? Ou bien Brigitte Lahaye à ses heures de gloire dans une posture acrobatique ?

  8. subitement, j’ai peur, car ce soir j’ai signé un devis pour un homonyme, la particule en moins, enfin, il n’est pas encore posté, je vais rajouter une clause de durée de travaux…

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