Je passe quotidiennement plus d’une heure dans les transports en commun. Il m’arrive souvent de lire un bouquin ou le journal. C’est mon activité préférée avant d’aller travailler. Cela me permet de m’échapper et de me mettre de bonne humeur avant de retrouver une activité professionnelle parfois stressante. Il est parfois déchirant de quitter un univers ou l’on se sent en totale sécurité pour rejoindre les aléas de la vraie vie.
Lorsque je me déplace en métro ou en bus, je passe également beaucoup de temps à dévisager les gens qui m’entourent. C’est très compliqué à expliquer. C’est encore plus compliqué à écrire. J’observe les visages, je les décortique. Je retrouve des regards, des formes, des bouilles ovales à la Wallace, des houppettes à la Tintin. Chaque indice est bon à prendre. Un geste vif, un baiser furtif, un clin d’œil, un tatouage, une bague, un parfum entêtant, une odeur de cigarette ou même d’accordéon rance. Mon esprit semble flotter. Je commence à inventer des histoires. Je rêve tout éveillé.
Ces personnes qui me font face partagent ma vie pendant seulement quelques secondes. Elles ne le savent pas. Je les vole à leur propre existence. Ces individus vivent de leur côté, seuls, dans leur propre univers et ne se doutent pas une seconde que je leur invente une nouvelle vie. Je vampirise. Tout est indolore.
Les humeurs des voyageurs changent selon la période de l’année. Les voyageurs sont plus calmes et moins nombreux en été. Les visages bronzés semblent apaisés et rajeunis. Les Parisiens se mélangent aux nombreux touristes et autres promeneurs. On se bouscule, on s’excuse, on se sourit, on demande son chemin, on rate sa station, on commence à râler.
En plein hiver lorsque le froid est bien installé, les gens se ressemblent tous. Ils n’ont pas le temps de se dévêtir et restent emmitouflés comme s’ils se préparaient à un trek au Népal. Les cheveux dépassent des bonnets ou des chapeaux. Les traits sont tirés. Seuls les yeux semblent laisser transparaître l’âme du voyageur.
Hier, j’ai dévisagé une femme. Sa peau était aussi noire que l’ébène. Elle avait les traits fins. Ses yeux étaient verts. Elle était très belle. Mes yeux ne pouvaient pas s’écarter de son magnifique visage. Elle a rapidement laissé sa place à une autre femme, tout de cuir vêtue. Elle ressemblait à curieusement à Barbarella. Elle s’est installée face à moi, a posé sa paire de gants sur ses genoux. Elle fixait elle aussi une autre personne située derrière moi tout en écoutant de la musique. Ces deux personnes ne m’avaient pas remarqué. Nous avions pourtant vécu une histoire commune pendant quelques minutes. On s’est connu, on s’est reconnu, on s’est perdu de vue. Chacun est retourné dans son propre monde, en attendant de faire d’autres rencontres, jour après jour.
Merci Kozlika.