Avant hier, même trip que la semaine dernière.
Je devais aller à Londres pour faire une présentation. Le réveil a une fois de plus sonné à 5h30. J’ai essayé la veille au soir la veste d’un second costume ramené lui aussi de Pékin. Gris foncé, très classique avec une doublure rouge cardinal. Je suis décidément de plus en plus heureux de mes achats. Je fonce dans la salle de bain, saute sous la douche, m’habille et sort en quatrième vitesse héler un taxi.
Rendez-vous avec le reste de mon unité au salon et départ en temps et en heure. Je n’aime pas spécialement parler en anglais devant de nombreuses personnes mais je me force à faire ce genre d’exercice. Cela devient une sorte de thérapie. J’essaye de vaincre ma timidité maladive. Cependant, pour éviter tout problème et pour me rassurer, j’avale toujours ½ heure avant de parler un petit cachet sécable ultra magique. Je suis vraiment mal placé pour expliquer que la prise de tout médicament est toujours associée à un risque et que dans certains cas les effets secondaires associés peuvent se révéler être plus grave que la raison pour laquelle on prend un médicament. Je recherche les indications dans la bible rouge du médicament et je trouve :
-Hypertension artérielle ;
-Prophylaxie des crises d’angor d’effort ;
-Traitement au long cours après infarctus du myocarde ;
-Traitement de certains troubles du rythme : supraventriculaires (tachycardies, flutters et fibrillations auriculaires, tachycardies jonctionnelles) ou ventriculaires (extrasystoles ventriculaires, tachycardies ventriculaires) ;
-Manifestations cardio-vasculaires des hyperthyroïdies et intolérance aux traitements substitutifs des hypothyroïdies ;
-Signes fonctionnels de la cardiomyopathie obstructive ;
-Traitement de fond de la migraine et des algies de la face ;
-Tremblements, en particulier essentiels ;
-Prévention des hémorragies digestives par rupture de varices oesophagiennes (prévention primaire) et de leur récidive (prévention secondaire) chez les patients atteints de cirrhose : la prévention d’une première rupture de varice oesophagienne est limitée aux patients ayant une hypertension portale, chez lesquels l’examen endoscopique révèle des varices oesophagiennes de tailles intermédiaire ou volumineuse (stade II ou III).
-Manifestations fonctionnelles cardiaques à type de tachycardie et de palpitations au cours des situations émotionnelles transitoires ;
Bah finalement, la dernière indication, c’est tout moi ça : j’ai une manifestation fonctionnelle cardiaques à type de tachycardie (J’ai la trouille) et de palpitations au cours d’une situation émotionnelle transitoire (je fais une présentation). Je jette quand même un coup d’œil sur les effets indésirables éventuels :
-Asthénie
-Refroidissement des extrémités
-Bradycardie, sévère le cas échéant
-Troubles digestifs (gastralgies, nausées, vomissements, diarrhées)
-Impuissance
-Insomnie, cauchemars
-Ralentissement de la conduction auriculo-ventriculaire ou intensification d’un bloc
-Auriculo-ventriculaire existant
-Insuffisance cardiaque
-Chute tensionnelle
-Bronchospasme
-Hypoglycémie chez les sujets à risque (voir rubrique 4.4)
-Syndrome de Raynaud
-Aggravation d’une claudication intermittente existante
-Diverses manifestations cutanées y compris éruptions psoriasiformes
Ouais, Paris vaut bien une messe. J’espère cependant ne pas être victime d’une éruption de crakos purulants sur la gueule.
On m’informe que ma présentation est prévue à 11h30. Cool.
J’assiste aux débats houleux, les dossiers sont présentés. Il est 10h30. Mon grand chef a la banane. Il a réussi à décaler mon produit et je passe finalement dans 5 minutes.
Un grand moment de solitude. Gnééééé…
« Oh-putain-la-vache » me dis-je in petto en moi même.
Ma pilule magique n’a plus le temps de passer la barrière intestinale pour aller se lover dans les petits récepteurs de mon cœur si émotif. Je tente le coup, sors de la salle, prend un verre d’eau et avale mon comprimé. Je me retrouve quelques minutes plus tard à présenter mon rapport. Je serre les fesses pour qu’il n’y ait aucune question.
Merde, deux mains se lèvent.
Mon contrat étant rempli, je propose de la pause déjeuner pour aller faire quelques courses dans le centre. Je prends la « Docklands Light Railway » puis la « Central Line » à Bank, direction Oxford Circus. L’ambiance a changé depuis la semaine dernière. La police est omniprésente, des messages audio prônant la prudence passent en boucle. Les visages semblent plus graves. Mon comprimé cesse de faire effet et je commence à tachycarder. Les couloirs étroits du métro londonien m’étouffent.
Pourtant, le but ultime de cette escapade est d’aller dévaliser un magasin Lush, le pays merveilleux du détergent où les délices cosmétiques sont confectionnés à la main avec autant de fruits et légumes bios que possible. C’est le temple baba du savon et du shampooing solide. Lorsqu’on entre dans l’un de ces magasins, on est tout de suite envahi et pénétré par une odeur de propre. J’ai un faible pour la gamme Karma. A proximité d’un magasin Lush, la pétasse en moi prend le dessus et je ne suis plus contrôlable. C’est une catastrophe pour la carte de crédit et pour Snooze, qui va encore me dire
« mahhh-qu’est-ce-que-tu-as-eu-besoin-d’acheter-encore-du savon-l’armoire-en-est-pleine ».
Oui, il a raison mais je ne peux pas m’en empêcher.
Passage express chez Tesco et Waitrose pour les derniers achats et me voilà revenu auprès de mes collègues, mon sac vomissant de denrées.
J’assiste aux dernières délibérations et nous partons finalement pour l’aéroport. Le dernier avion est à 18h45. La consigne est de ne pas le rater. Pendant près de trois heures, mes collègues et moi-même avons été pris de délires et de fous rires à répétition, comme si nous décompressions tous en même temps avant cette période estivale. C’est dans ces moments bien particuliers que j’apprécie mon boulot et surtout la liberté avec laquelle je travaille au quotidien.
L’essentiel devient vraiment la santé.